Avant d’être « piqueur », le moustique est avant tout « nageur », vivant sa jeunesse dans l’eau, qu’elle soit dans des espaces naturels (marais, flaques, fossés, creux de rochers ou d’arbres) ou – dans le cas du moustique tigre – contenue dans divers récipients artificiels. L’eau est l’élément indispensable au développement des moustiques, sa disponibilité conditionnant l’éclosion des œufs.
Chez les moustiques du genre Aedes, les œufs sont pondus hors de l’eau, au sec, et attendent la mise en eau ou la montée du niveau d’eau pour éclore. Certaines espèces sont entièrement dépendantes des mises en eau dites « naturelles », par exemple Aedes (Och.) mariae qui se développe dans les creux de rochers alimentés en eau par la pluie, les embruns ou les coups de mer. La situation devient plus complexe pour les espèces vivant plus près de l’Homme et des activités humaines : en Camargue, les chasseurs apportent volontairement de l’eau dans les marais pour la chasse, générant des éclosions des moustiques dits « de marais » (Aedes caspius, Aedes detritus, etc.). En ville, les moustiques dits « de récipients » comme Aedes albopictus bénéficient de l’eau apportée plus ou moins volontairement par l’Homme (eau d’arrosage, d’évacuation, etc.).
La question se pose de l’influence des précipitations sur un moustique urbain comme le moustique tigre (Aedes albopictus), différentes études démontrant l'absence de relation stricte entre les précipitations et l'abondance d'Aedes albopictus : les pluies peuvent avoir un effet positif (Lourenco-de-Oliveira et al. 2004), négatif (Roiz et al. 2010) ou nul (Toma et al. 2003) sur la population de moustiques. Nous présentons ici quelques faits établis à retenir :
1/ Des pluies régulières ne sont pas essentielles au maintien d’une population de moustique tigre.
Le moustique tigre peut se développer pendant toute la saison favorable (de mi-mars à octobre) même en l’absence de pluie, dans des gîtes larvaires a/ qui sont alimentés en eau par l’Homme (cache-pots et coupelles alimentés par l’arrosage des plantes, vases ou contenants utilisés pour les bouquets et le bouturage, eau de la climatisation, contenant d’eau des machines à affranchir le courrier, etc.), ou b/ qui conservent de façon permanente de l’eau. Dans ce dernier cas, ce sont des récipients (réservoirs d’eau pluviale, seaux imbriqués les uns dans les autres, etc.) ou plus souvent des structures (pièges à sable des regards de gouttière sur le domaine privé, chambres de tirage et avaloirs siphoïdes sur le domaine public, cf. illustrations ci-après) qui accumulent l’eau pluviale sans permettre son évacuation totale ou son évaporation, rendant l’eau des pluies hivernales et printanières disponible l’été pour les moustiques urbains. Lors de nos prospections entomologiques, ces gîtes sont très souvent productifs en moustique tigre, avec ou sans pluie ayant précédé notre passage.
Un modèle – qui deviendra plus tard « ARBOCARTO » – a démontré que les éclosions des œufs d’Aedes albopictus ne pouvaient pas être entièrement dépendantes des précipitations. Si l’éclosion des œufs ne se produisaient que lors d'événements pluvieux, les simulations montrent que les populations d'Aedes albopictus seraient quasi-absentes pendant les mois d'été des années sèches (à l’instar de l’année 2022), voire pourraient conduire à l'extinction locale de la population de moustique tigre (Tran et al. 2013). La persistance estivale du moustique tigre et de la nuisance associée est la preuve d’une dissociation partielle entre éclosions et précipitations.
2/ Les fortes précipitations sont favorables à la prolifération du moustique tigre… si elles ne sont pas trop tardives !
Les femelles d'Aedes albopictus pondent dans des récipients artificiels de taille petite à moyenne, qui sont susceptibles de déborder lors de fortes précipitations en entrainant les larves qui s’y développaient : cet effet « big flush » avait été démontré expérimentalement, de fortes pluies pouvant éjecter jusqu’à 80% des larves et des nymphes (Dieng et al. 2012).
Cependant, les données d’observations en France métropolitaine diffèrent grandement des données expérimentales précitées. Des villes sous climat méditerranéen (un été sec et des épisodes de fortes précipitations entre la fin de l’été et l’automne) comme Montpellier et Nice constituent d’intéressantes études de cas. A Montpellier, les 2 épisodes « cévenoles » avec les précipitations journalières les plus intenses (300 mm de pluie le 29/09/2014 et 168,6 mm le 23/08/2015) ont généré le pic maximum d’abondance de population du moustique tigre 2 à 3 semaines plus tard (Roiz et al. 2015 et observations personnelles). Inversement, les fortes précipitations qui se sont produites à Nice (99,2 mm le 31/10/2010 et 89,9 mm le 05/11/2011) coïncidaient avec la fin de l’activité observée du moustique tigre (Lacour et al. 2015).
Les fortes précipitations du mois de septembre ont donc un effet globalement positif (en bleu sur le graphique) pour les populations de moustique tigre [en apportant de l’eau dans tous les récipients et en permettant l’éclosion d’un nombre d’œufs largement supérieur à l’effectif de larves éliminées] et celles d’à partir de fin octobre ont un effet globalement négatif (en rouge sur le graphique) [en éliminant les dernières larves de la saison, le stock d’œufs étant en diapause hivernale], la balance entre effet positif et négatif se produisant en octobre.
Exercice : d’après les éléments présentés précédemment, quelle prévision pouvez-vous faire au sujet de la nuisance liée au moustique tigre à Montpellier à la suite de l’épisode orageux qui ont touché la métropole il y a 2 semaines (en gris sur le graphique) ?
Divulgâchage : Si ce n’est déjà fait, dépêchons-nous de vider et neutraliser les « gîtes larvaires » présents dans nos jardins, terrasses et balcons !